L'anthropologie chrétienne et la vie morale - Ministère Ligonier
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L’anthropologie chrétienne et la vie morale

Note de l’éditeur : Ceci est le sixième chapitre de la série La doctrine de l’homme.

Les auteurs chrétiens notent parfois que la doctrine et l’éthique vont de pair. Mais si tous les domaines de la théologie ont des implications morales, la doctrine de l’homme (anthropologie) a des ramifications particulièrement puissantes pour la vie morale. Qui nous sommes est inséparable de la manière dont nous devons vivre. En outre, la manière dont Dieu nous appelle à agir correspond à la nature humaine qu’il nous a donnée.

De telles affirmations remettent en question la façon dont de nombreuses personnes conçoivent l’éthique chrétienne. Même de nombreux chrétiens sont tentés de considérer la loi de Dieu comme un ensemble de règles que Dieu nous a imposées, et qui nous empêchent de nous amuser, de prendre du plaisir, et de faire des bénéfices. Mais la loi de Dieu n’est pas arbitraire. Elle commande ce qui est prescrit pour de bonnes raisons. La loi de Dieu ne reflète pas seulement sa propre nature, sainte et juste, mais aussi notre propre nature. Sa volonté morale correspond à la manière dont il nous a créés, et aux buts qu’il nous a fixés. Cela veut dire que la loi de Dieu n’est pas une camisole de force, qui nous empêche de faire des choses agréables. La loi de Dieu est véritablement bonne pour nous.

Bien sûr, dans un monde pécheur, nous devrons souvent souffrir pour être fidèles à notre Seigneur. Mais vivre selon la loi de Dieu correspond au dessein qu’il a eu de nous créer et nous apporte donc une véritable satisfaction, même au milieu des épreuves et des pertes de la vie. Vivre en contradiction avec la loi de Dieu ne peut que rendre les êtres humains profondément malheureux et insatisfaits, parce qu’une telle vie va à l’encontre de la manière dont Dieu nous a créés pour vivre. Un oiseau ne peut trouver satisfaction en essayant de vivre comme un cheval, et un cheval ne peut trouver satisfaction en essayant de vivre comme un poisson. Il en va de même pour les êtres humains qui essaient de vivre à l’encontre de la loi divine, elle qui correspond parfaitement à leur nature et à leur destinée.

Considérons ces choses concrètement en réfléchissant à quatre domaines importants et controversés de la morale humaine : le travail, le sexe et le genre, la race, et la valeur de la vie humaine.

LE TRAVAIL

Que nous travaillions à l’intérieur ou à l’extérieur de la maison, que nos vocations soient rémunératrices ou non, le travail occupe souvent une grande partie de notre temps. Nous pouvons penser à cela simplement en termes de nécessité – tant de factures à payer, de bouches à nourrir, et de couches à changer. Ou bien nous pouvons y penser en termes de devoir moral, d’être assidu et d’éviter la paresse, comme nous le rappelle souvent l’Écriture (par exemple, Pr 6.6-11 ; 1 Thess 4.11-12 ; 2 Thess 3.6-12). La nécessité et le devoir moral sont en effet des motivations légitimes pour travailler, mais il y a quelque chose de plus fondamental encore. Au commencement, Dieu a créé les êtres humains pour qu’ils soient des créatures de travail. Travailler dur correspond à la nature que Dieu nous a donnée.

L’un des aspects les plus frappants de Genèse 1 c’est que Dieu y est décrit comme un travailleur. Il appelle toutes les choses à l’existence, les met en ordre, les nomme et leur donne des tâches à accomplir. Ce n’est pas un despote paresseux et indulgent, mais un travailleur occupé et productif. Il n’est donc pas surprenant que lorsqu’il a créé les humains à son image et à sa ressemblance, il leur a immédiatement donné du travail à faire : dominer sur les autres créatures, être fécond et multiplier, remplir et soumettre la terre (Ge 1.26, 28). Être homme, c’est porter l’image de Dieu, et porter l’image de Dieu implique la vocation à un travail productif. La loi de Dieu nous commande de travailler parce que c’est une chose authentiquement humaine que de le faire.

La récente révolution du sexe et du genre est à la fois une rébellion contre la loi de Dieu, et un immense déni de réalité. Diviser les gens en races distinctes est une invention humaine qui défie la réalité de la nature humaine.

Cela explique pourquoi les personnes qui cessent de travailler, pour une raison ou une autre, ressentent souvent un profond manque et une profonde désorientation. Ceux qui deviennent handicapés, et quittent le marché du travail, luttent souvent contre la dépression. De nombreuses personnes, qui attendent impatiemment la retraite, commencent à ressentir un manque de sens à leur vie rapidement après avoir quitté leur emploi. Un sentiment d’absence de but peut frapper les personnes dévouées à leur foyer, lorsque leurs enfants grandissent et quittent la maison. Une vie sans travail peut sembler si attrayante de loin, au milieu de l’agitation et du stress, mais la réalité s’avère bien creuse.

Le monde a été confronté à ces réalités de manière inquiétante au cours des dernières années, lorsque la COVID-19 et les restrictions gouvernementales ont perturbé la vie économique. De nombreux emplois ont disparu, tandis que d’autres sont devenus exceptionnellement dangereux et stressants. Les chèques du gouvernement, et les services de retransmission en ligne, se sont avérés être de piètres substituts à des vocations productives. Ce n’est pas une coïncidence si les problèmes de santé mentale, et de toxicomanie, ont augmenté de façon spectaculaire. Même après la levée de la plupart des restrictions, liées à la pandémie, nous apprenons que le taux global de la main d’œuvre active ne s’est pas rétabli. Il est particulièrement inquiétant de constater que de nombreux hommes en âge de travailler semblent avoir complètement abandonné le marché du travail.

Il ne s’agit pas seulement de questions économiques ou de politique publique, mais de questions qui touchent au cœur de notre existence humaine. Dieu nous a commandé de travailler, parce qu’il nous a donné une nature qui aspire au travail. Lorsque les gens ne veulent ou ne peuvent plus travailler, les dommages collatéraux sont forcément importants.

LE SEXE ET LE GENRE

Lorsque les chrétiens réfléchissent à leur aliénation croissante par rapport au courant de la culture dominante dans les sociétés occidentales, les questions de sexe et de genre sont rarement loin de leur esprit. Parfois, les chrétiens se demandent si cela vaut vraiment la peine d’être ridiculisé et marginalisé pour défendre des points de vue traditionnels. Mais les questions sur le sexe et le genre sont vraiment importantes, et l’une des principales raisons est due à ce que la nature humaine est en jeu. La récente révolution en matière de sexe et de genre est à la fois une rébellion contre la loi de Dieu, et un immense déni de réalité – la réalité de la façon dont Dieu nous a créés.

“Le créateur, au commencement”, a noté Jésus, “fit l’homme et la femme” (Mt 19.4). Jésus a dit cela en introduisant son enseignement le plus complet sur le mariage rapporté dans les évangiles (Mt 19.4-12 ; voir Marc 10.1-12). Il ne s’est pas contenté d’apporter le texte preuve de l’Ancien Testament sur la permanence du mariage, et l’immoralité du divorce dans la majorité des circonstances. Il a également indiqué que la loi de Dieu sur la sexualité et le mariage est fondée sur l’ordre de la création. Dieu s’attend à ce que les mariages soient durables, fidèles, procréatifs, et hétérosexuels, en raison de la façon dont il nous a créés. La première chose que l’Écriture nous dit à propos de nous-mêmes est que Dieu nous a créés à son image et à sa ressemblance (Ge 1.26). La deuxième chose qu’elle dit, c’est que nous, qui portons l’image, sommes mâles et femelles (v. 27). Tous les êtres humains sont porteurs de l’image, mais il y a deux (et seulement deux) façons de porter l’image : en tant qu’homme ou en tant que femme. Cette distinction fondamentale façonne nos vies de toutes sortes de manières, à la fois évidentes et mystérieuses, mais Genèse 2 met en lumière la manière la plus importante : Dieu a créé la femme d’une manière qui était parfaitement “adaptée” (Ge 2.18) à l’homme, afin qu’ils puissent s’unir dans le mariage, une relation permanente et sexuellement féconde “d’une seule chair” (Ge 2.22-24). Une telle relation n’existe qu’entre un homme et une femme.

Ces considérations sont cruciales, et il faut les souligner dans la formation de la prochaine génération. Nos enfants et nos jeunes adultes subissent de fortes pressions pour rejeter, ou du moins assouplir l’enseignement de l’Église sur la sexualité. Il est important qu’ils sachent que Dieu ne nous a pas imposé des règles rigides pour réprimer nos désirs et nous rendre misérables. Au contraire, sa loi sur la sexualité nous montre comment être vraiment humains. Elle indique la seule manière dont nous pouvons exprimer nos désirs sexuels sans la culpabilité, les regrets, et le ressentiment, que d’autres manières de faire entraînent souvent. Manger trop, boire trop, avoir des accès de colère, tout cela peut sembler exaltant, mais cela finit par rendre la personne (et souvent les autres) misérable. Il en va de même pour le sexe et le genre. Choisir ou créer son propre sexe peut donner un sentiment temporairement satisfaisant de pouvoir et de liberté. S’adonner à des désirs sexuels en dehors d’une relation de mariage peut procurer un plaisir momentané. Mais ces choses ne peuvent jamais satisfaire, car elles vont à l’encontre de notre nature humaine que nous ne pouvons pas changer.

LA RACE

La question de la race se joint évidemment à celles du sexe et du genre parmi les questions les plus controversées de la culture contemporaine. Dans ce cas, cependant, les chrétiens ne se trouvent pas tellement en décalage avec le courant de la culture dominante, du moins en général. Lorsque la culture globale proclame son opposition au racisme, les chrétiens s’y associent volontiers, et peuvent également exprimer leur profond regret pour les échecs de l’Église à cet égard. Pourtant, la race est une autre question morale profondément liée à la nature humaine. Réfléchir à cette question à travers le prisme de l’anthropologie chrétienne promet d’apporter un éclairage supplémentaire.

À un certain niveau, l’anthropologie chrétienne fournit une objection plutôt claire et évidente au racisme : Dieu a créé chaque être humain à son image et à sa ressemblance. Mépriser une autre personne pour la couleur de sa peau, ou soumettre une autre personne en raison de son ascendance, c’est ignorer ce fait profond de notre existence, et insulter celui dont ils portent l’image. Aussi habilement rationalisé soit-il, le racisme ne peut jamais échapper à cette objection dévastatrice. De nombreux non-chrétiens condamnent le racisme au nom de la dignité humaine universelle, mais les chrétiens ont les raisons les plus profondes de le faire.

Pourtant, l’anthropologie chrétienne exige une analyse plus approfondie. L’Écriture indique non seulement que tous les humains portent l’image de Dieu, mais aussi que tous les humains appartiennent à la même lignée. Dieu a fait tous les hommes “d’un seul sang” (comme le dirait une traduction littérale d’Actes 17.26), unis par naissance sous un chef d’alliance, le premier Adam, et possédant un seul espoir de salut sous un autre chef d’alliance, le dernier Adam (Rm 5.12-19 ; 1 Cor 15.21-22, 45-49). Nous partageons une nature commune et donc, selon l’Écriture, il n’y a vraiment qu’une seule race humaine. L’Écriture reconnaît que des groupes humains se sont unis pour former des peuples, ou des nations (par exemple, les Égyptiens, les Hittites, les Assyriens, les Babyloniens), mais elle ne décrit jamais les gens comme appartenant à des “races” différentes, au sens moderne du terme. Pour le dire crûment, l’Écriture ne connaît ni la race “blanche”, ni la race “noire”, ni rien d’autre de ce genre.

Il convient de noter que la science génétique contemporaine arrive exactement à la même conclusion. En examinant et en comparant la composition génétique de personnes du monde entier, et en étudiant les restes génétiques de nombreuses personnes ayant vécu bien avant nous, les scientifiques rejettent l’idée que l’humanité soit divisée en un petit nombre de races biologiquement distinctes. Nous sommes une seule et même race, bien trop liée pour que cela soit vrai.

Diviser les gens en races distinctes est une invention humaine qui défie la réalité de la nature humaine, que ce soit d’un point de vue théologique ou scientifique. Diviser les gens par race revient à inventer des genres autres que l’homme et la femme. Se demander quelle est la meilleure façon de guérir les blessures, et de redresser les torts, que des siècles de racisme ont infligés, est une question difficile et controversée. Il est compréhensible que les chrétiens parviennent parfois à des conclusions différentes à propos des détails. Mais une anthropologie chrétienne suggère que notre but ultime devrait être une société, et surtout une Église, dans laquelle nous ne parlons plus, et nous ne traitons plus, les uns les autres, comme si nous appartenions à des races différentes.

LA VALEUR DE LA VIE HUMAINE

Toutes les questions examinées jusqu’à présent sont importantes, mais la plus importante d’entre elles, ou du moins la plus fondamentale, est celle de la valeur de la vie humaine. Chaque jour, nous commettons d’innombrables méfaits, plus ou moins graves, les uns envers les autres. Mais aucun mal n’est aussi grave, aussi dévastateur, aussi définitif que de tuer un autre être humain. Il est normal que nous terminions notre étude anthropologique de la vie morale par une réflexion sur cette question.

À l’heure où j’écris ces lignes, la plupart des pays du monde sont consternés par les reportages et les images en provenance de l’Ukraine. Moi-même, et certainement de nombreux lecteurs de cet article, n’avons jamais eu à vivre au milieu d’une guerre. C’est une grande bénédiction, mais cela peut donner une fausse impression de la réalité. Notre monde déchu est un endroit violent. Le péché est si profond que les gens s’enlèvent la vie les uns les autres, souvent de manière gratuite et effrontée. Le meurtre, en particulier dans les guerres, n’anéantit pas seulement des vies individuelles, mais dévaste aussi des familles, des communautés, des économies, ainsi que l’environnement.

Dieu ne se contente pas de préserver, dans l’alliance de Noé, notre vie présente par sa grâce commune, mais il nous accorde aussi la vie éternelle par le sang de la nouvelle alliance.

Comme pour nos sujets précédents, Genèse 1 nous dit déjà beaucoup de ce que nous avons besoin de savoir. Dieu a créé “l’homme” à son image, “mâle et femelle” (Ge 1.26-27). Toute personne possède donc la dignité la plus profonde que l’on puisse imaginer. S’attaquer à un être humain, c’est s’attaquer à la ressemblance de Dieu lui-même. Genèse 9.6 ajoute quelque chose de subtil et d’important à cela. Après le grand déluge, que Dieu a imposé à cause de la violence (voir Ge 6.11), Dieu a conclu une alliance avec Noé, et avec le monde entier pour le reste de l’histoire, afin de préserver et gouverner toutes choses (Ge 8.21-9.17). Dans le cadre de cette alliance, Dieu a déclaré : “Si quelqu’un verse le sang de l’homme, par l’homme son sang sera versé ; car Dieu a fait l’homme à son image” (Ge 9.6). Selon cette formule, le sang de chaque personne a la même valeur. Quiconque verse illégalement le sang d’une autre personne doit le payer de son propre sang. Peu importe que l’auteur du crime soit un roi et la victime un serviteur, ou vice versa. Le sang humain est le sang humain, et le meurtre de quelqu’un exige une juste rétribution. La vie des plus faibles et des plus oubliés doit être défendue. C’est ici que le mal de l’avortement apparaît au grand jour. Personne n’est plus vulnérable que les enfants à naître, et la justice de Genèse 9.6 s’applique également à eux.

Le contexte de Genèse 9.6 est intéressant à noter pour une autre question connexe. Au verset 5, Dieu dit qu’il vengera lui-même le sang versé par les humains. Mais le verset 6 déclare ensuite que Dieu a désigné les humains comme ses instruments pour administrer la justice. Le fait que Dieu confie cette grande tâche à des êtres humains (déchus) est un autre témoignage de notre dignité inhérente. Mais cela nous rappelle aussi que la valorisation de la vie humaine implique que nous soutenions les systèmes juridiques, les guerres justes (défensives), et les autres choses, qui protègent les gens de la violence et punissent les malfaiteurs. Porter l’image de Dieu implique un appel à exercer la domination (Ge 1.26), et dans un monde déchu, cela implique de promouvoir la justice face au mal.

Une dernière question mérite notre attention, et c’est la plus importante de toutes. Nous avons considéré les différents buts pour lesquels Dieu nous a créés, mais le plus important était d’atteindre la béatitude éternelle dans la communion avec lui. Dieu nous a créés pour gouverner non seulement le monde présent, mais aussi le monde à venir (Hé 2.5). Bien que nous ayons échoué lamentablement à atteindre ce but, Dieu a envoyé son Fils dans notre condition inférieure afin de souffrir pour nous, de sorte que nous puissions un jour le rejoindre dans la gloire de la nouvelle création (Hé 2.5-10). Dieu ne se contente pas de préserver, dans l’alliance de Noé, notre vie présente par sa grâce commune, mais il nous accorde aussi la vie éternelle par le sang de la nouvelle alliance. Cela signifie qu’aussi précieuse que soit notre vie présente, nous, chrétiens, n’osons pas la considérer comme la chose la plus importante. Nous renonçons à nous-mêmes, nous nous chargeons de notre croix, et nous suivons Jésus (Matthieu 16.24). Nous sommes “fidèles jusqu’à la mort”, sachant que le Christ nous donne “la couronne de vie” (Ap 2.10). Aucune anthropologie chrétienne n’est complète si elle n’exalte pas cette destinée suprême. Saisissons en effet “la vie véritable” (1 Tim 6.19).

Cet article a été publié à l’origine dans le Tabletalk Magazine.

David VanDrunen
David VanDrunen
Dr David VanDrunen est professeur de théologie systématique et d'éthique chrétienne au Westminster Seminary California. Il est aussi ministre dans l'Orthodox Presbyterian Church. Il est l'auteur de plusieurs livres, dont "Politics after Christendom" et "Divine Covenants and Moral Order".